Le Russe – désir et (a)normalité

Quelques semaines après mon installation provisoire chez des amis, on organise une petite fiesta. Ça tombe bien, j’ai trouvé un appart’, j’ai enfin quelque chose à fêter. Cette rupture d’avec le Grand Méchant Ex est le parfait régime bikini au moment d’entrer dans l’hiver : j’ai un corps de nymphette de magazine, je me sens super sexy, je rentre dans mes slims en sautant à pieds joints dedans… mais je ne respire pas franchement la joie de vivre.

Tous ceux qui m’aiment font ce qu’ils peuvent pour me remonter le moral, sans grande efficacité. Jusqu’à ce que Monsieur me dise : « Dis, tu te souviens du Russe..? »
Tiens, euh, oui, maintenant que tu m’en parles, je me souviens très bien de ce mec charmant rencontré 9 mois plus tôt. J’ai un truc avec les périodes de 9 mois. Une sorte d’affection un peu magique. On verra si je dirai toujours ça après une grossesse et un accouchement.
« Hé bien, figure-toi qu’il est conceptuellement amoureux de toi. Si, si, je te jure. »
Je rêve ou le mec sous-entend que je devrais ne pas en revenir qu’un type soit amoureux de moi après seulement un week-end au ski entre amis ?!

Bon. Mais « conceptuellement », quoi…

Monsieur enchaîne : « Enfin, je crois qu’il te faudrait quelqu’un d’un peu plus normal. »
D’après mon expérience, ceux qui paraissent normalement (a)normaux au début se révèlent être des psychopathes des relations humaines au bout de quelques mois (ou années). Quant aux normaux-normaux, est-il utile de préciser que c’est juste pas du tout ma came ?

Je fanfaronne et rigole, pour masquer mon trouble : « Ha ! mais moi, j’en aurais bien fait mon 4 h, à l’époque ! » C’est pour s’amuser qu’on rigole, et qui oserait croire que je dis tout simplement la vérité ? Je n’allais pas rentrer dans les détails, que je m’étais empressée d’oublier dès mon retour de ces minuscules vacances, et qui se bousculaient maintenant dans ma tête comme autant de dominos-souvenirs. Cette nuit, par exemple, que nous avions bien entamée à papoter en tête-à-tête accoudés au balcon, fumant ou vapotant en regardant les étoiles, bravant le froid l’air de rien, juste pour trouver un peu d’intimité dans un de ces appartements montagnards exigus. Une fois allongée à l’étage, impossible de trouver le sommeil, j’hésite de tout mon corps à le rejoindre sur le canapé qui lui sert de lit. Mais les convenances l’emportent : j’étais maquée, et tous mes amis présents ce week-end-là connaissaient le mac… Ce ne serait pas un cadeau à leur faire. Et puis, vas-y que je me sermonne : c’est ridicule de craquer comme ça sur ce type ! C’est carrément typique de la nana qui a des problèmes dans son couple, la libido réveillée par le premier barbu légèrement étranger, équipé du combo parfait mignon-humour total-yeux bleus, qui lui prête attention.
Je refuse d’être typique, question de principe.

Quelques mois plus tard, je l’avais revu à une fête chez Monsieur. Typique ou pas, j’avais passé presque toute ma soirée à l’éviter, le futur Grand Méchant Ex à mon bras, avec cette étrange sensation que les ondes de chaleur-douceur crevaient l’écran, sans parler d’une complicité certaine, faite de chamailleries de gosses qui se cherchent et ont envie de se mordre.

Bref.
Ce soir-là encore, le sommeil m’échappe, et le lendemain matin, au travail, j’ai la tête de traviole et le coeur songeur. Je décide bien vite d’attendre que ça passe. Ça finit toujours par passer, alors…

Alors arrive la pause de midi, et, aussitôt la porte franchie, je saisis mon téléphone et appelle Monsieur : « Dis voir, il a un numéro de téléphone, le Russe ? »


« Allô, bonjour ! C’est Bisoux ! »

« Bisoux..?? Bisoux qui ? »

« Bisoux Magiques ! »

« … Oh !… Ha ! »

« Oui, voilà, j’ai déménagé, et je vais pendre la crémaillère… J’appelle pour t’inviter ! » Quitte à y aller, autant y aller à fond, les pistes noires ne me font pas peur, alors j’ajoute : « Comme ça, tu auras un second pied-à-terre dans notre belle région ! » (Car oui, le Russe habite loin.)

Le type est content ; surpris, mais vraiment content. On parle une heure et demie au téléphone, j’en oublie presque de déjeuner, et je vois des étoiles en plein jour.

Il fait chaud, pour un mois de novembre, non ?