La délicatesse

J’avais donc emménagé dans mon nouvel appartement et, pour fêter ça, j’avais invité un de mes amis à dîner à la maison. Ce qui est un peu marrant, c’est que je voulais le pécho le soir où j’avais rencontré le Grand-Méchant-Ex. Ça n’avait pas marché, vous l’aurez compris. Si ça vous intéresse, je vous raconterai cette épique soirée une prochaine fois. Maintenant qu’on se connaissait mieux, bizarrement, je n’avais plus l’intention de lui rouler des pelles. Tout était cool. 

Il propose d’inviter un de ses amis, qui vit dans le même bled que moi. Ça tombe bien, ça m’arrangerait d’avoir un pote à moins de 30 mn de chez moi ! Le voisin ramène un de ses amis d’enfance, ok, très bien, c’est soirée couilles.

Les garçons fument des pétards et discutent jeux vidéos, je me fais chier comme un rat mort, mais que voulez-vous ! Il faut bien que jeunesse se passe ! Et puis l’avantage quand on s’ennuie, c’est que la vie dure plus longtemps. 
En partant, le voisin m’assure qu’il va organiser à son tour un apéro chez lui avec les copains, je me promets de réviser mon Secret of Mana histoire de les lancer sur un sujet que je connais un tout petit mieux que pas du tout.

Quelques semaines plus tard, effectivement, je reçois un message d’invitation pour le samedi suivant. C’est super, même si je bosse ce dimanche, ça me fera du bien de prendre l’air.

Le jour J, alors que je sors du taff, le bonhomme me passe un coup de fil pour me prévenir que les copains se désistent et qu’on va se retrouver en tête à tête. Moi, je m’en fous : j’ai prévu de sortir, je sors ! 

Je le trouve un peu nerveux quand j’arrive chez lui. Il me sert un rhum, ok, merci. Il roule ses pétards, ok, non merci. Du coup il fume seul. Et beaucoup. On part dans des débats philosophiques et je le largue complètement. Réaliste, il me complimente donc abondamment sur mon intelligence et mon verbe, merci, mais bon, moi je me fais un petit peu chier, j’aimerais bien rentrer chez moi.  Pas question que je quitte les lieux sans avoir dîné, il me doit bien ça et semble assez offensé, et puis d’ailleurs je ne bois pas beaucoup, allez, finis ton verre que je te le remplisse.

Avec tout ça, j’ai envie de pisser. Je m’enferme au petit coin, qui est vraiment petit. De l’autre côté de la cloison, la cuisine, où je pourrais espérer qu’il s’active un peu, il est déjà 23h et je bosse demain, moi, bordel ! Mais non… Je l’entends qui téléphone : blablabla… « Il y a Bisoux qui est là… » 

Tiens, tiens ! Je tends l’oreille, jusqu’à la coller à la cloison, plutôt trop fine, qui me sépare de lui : « oui, j’espère que ça va marcher, j’ai vraiment envie de niquer ! »

Il y a une issue de secours à ces chiottes, ou comment ça se passe ??

Je reste kéblo un moment, je finis par tirer la chasse, et me lave les mains consciencieusement en multipliant pas 28 les recommandations sanitaires en vigueur tout en essayant de réfléchir à une réaction adaptée.

Comme c’est un ami d’ami, je choisis le silence diplomatique et la fuite dès que possible.

À peine ai-je franchi le seuil de la pièce qu’il me tend mon verre, toujours (magie !) plein de rhum. C’est là que je me dis que la naïveté, c’est mignon quand on a 6 ans, pas 30. Le mec essaie juste de me saouler. Malheureusement pour lui, il n’y arrive que trop bien : je rêve de rentrer chez moi. Pour passer le temps, je tire quelques taffes sur ses pétards. Très mauvaise idée : je me retrouve border paranoïaque, à me demander si ce type est aussi inoffensif que je l’avais cru initialement et à m’imaginer être le prochain fait divers sordide en une du journal régional.

J’étais donc à deux doigts du « sans vouloir te commander, quand est-ce qu’on mange », il a dû sentir que j’allais le mordre et que ce ne serait pas du tout sexuel, alors il a réchauffé un truc tout prêt et on a enfin pu manger. Du coup, j’ai enfin pu annoncer mon départ, non sans un soulagement certain. J’ai enfilé mon manteau et le voisin s’est habilement glissé entre moi et la porte. Comme il habite dans une résidence sécurisée (mon dieu quelle horreur), il fallait encore qu’il daigne m’ouvrir la grille extérieure pour que je puisse regagner mon paisible domicile.

Il a cru que c’était sa dernière chance, il l’a saisie : « Tu peux dormir ici, tu sais, on a un peu bu… »

Oui, enfin, j’habite à 1 mn en bagnole, 3 mn à pied, je pense que ça va aller, merci ! Haaaaa mais !! 

Le temps d’arriver chez moi, et de savourer ma liberté retrouvée, j’avais déjà un texto : « c’était trop bien cette soirée, j’espère que tu es bien rentrée… » Un autre le lendemain matin, et un troisième le lendemain soir, tous restés, vous vous en doutez, lettre morte.

Ainsi s’acheva ma fulgurante amitié de voisinage. 

Ayant raconté cette réjouissante mésaventure à quelques-uns de mes amis (remerciez-les, sans eux je ne serais pas là à vous raconter mes conneries), nous avons débattu des diverses possibilités qui s’offraient à moi ce soir-là. : le rire, l’interrogatoire, la baffe… J’admets que le silence n’était pas la meilleure option, ni la plus courageuse, ni la plus franche. À ma décharge, j’étais fatiguée, affamée et faut pas trop m’en demander. Et puis, merde, la lâcheté ne peut rester l’apanage des hommes, sinon c’est pas drôle ! 

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